Mercredi 6 décembre
9h45 Départ. Petite brise puis bien sûr, pétole et Volvo.
Vivement que je sorte de ce goulet.
11h00 Le vent se relève sud ouest, mais ai-je bien besoin
de mentionner la direction ? La force est monté à
5 rafales à 6. J’ai un ris dans la grand voile et le Génois
enroulé.
Je tire des grands bords jusqu’au rail des cargos ou là,
je suis même obligé de virer de bord pour laisser la place
à un gros tas de ferraille rouillé mais encore flottant
suffisamment pour être capable de me fracasser en deux.
Mais il fait attention car je me rends compte, en l’observant du
coin de l’œil pendant ma manœuvre, qu’il a ralenti pour me laisser
le temps de réagir. Puis une fois Winnibelle sur l’autre bord, il
remet la sauce ! Sympa le Captain ! Je crois que la plupart de ces
gars là sont des mecs responsables qui ne font pas n’importe
quoi.
Dommage que quelques enfoirés, comme partout ailleurs, brisent la
réputation de toute une profession à cause de dégazages sauvages
et autres exactions.
16h00 Le vent faiblit ce qui me permet de tout renvoyer.
Je n’ai toujours pas dépassé le cap de la Gata. Finalement, je prends
le pari que le vent va totalement tomber comme il le fait régulièrement
depuis...deux jours. Je décide donc de m’arrêter en face du village
qui se trouve devant moi à la fin de mon dernier bord de
prés vers la terre. Le soleil est sur le point d’atteindre la ligne
d’horizon.
17h50 Le village s’appelle San Jose. Je passerai la nuit
sans descendre à terre. Il y a un petit port sympa sur la
droite en arrivant par la mer. Rien de bien existant dans le coin.
Alors pour marquer le coup, je décide de me cuisiner quelque chose
de succulent. Je prépare des pommes de terre, une boite de salsifis
(tiens, c’est la toute première fois que j’écris cet étrange mot
!). D’ailleurs, je ne sais même pas à quoi ça ressemble
un salsifis dans la nature ! Dans le plat on dirait des tiges de
bambous blancs.
Bref, je me concocte une sorte de purée (merde ! J’ai fais trop
cuire les patates ! Je ne maîtrise pas encore les temps de cuisson
avec la cocotte minute du bord).
Je mélange cette purée avec de l’ail et les fameux salsifis. Il
y a là de quoi faire frémir Maman ! Si elle voyait ça, elle
jetterait le tout aux poules chez Serge et Suzie. Mais moi, je suis
très fier de mon chef d’œuvre culinaire. Enfin, après la première
bouchée, le regard dans le vague, les paupières semi plissées et
les papilles au verdict, j’en arrive à la simple conclusion
qu’il n’y a vraiment pas de quoi se taper le cul par terre. Tant
de vaisselle et d’énergie pour une sorte de masse informe sans attrait
particulier dans laquelle on distingue difficilement les pauvres
salsifis noyés dans de la patate sur bouillie ! Les bouts d’ails,
quant a eux, ont totalement disparus du menu. C’est avec surprise
que je les retrouve par hasard sous la dent. Pour boisson, là
encore je fais preuve d’originalité. Comme le vin ouvert a une fâcheuse
tendance à se transformer en infâme vinaigre si on ne le
consomme pas rapidement, je décide d’arroser ce somptueux repas
de deux verres de Banyuls ! Pas franchement adapté pour l’apéritif
mon magma salsifieux ! Bref, en guise de dessert je n’ai plus de
yoghourt au chocolat de chez Lidle, alors je me fais...une pomme
! Bon appétit ! |
|
Jeudi 7 décembre.
9h00 Décollage tonitruant force 1.5, mais, mais... dans le dos.
Les voiles arborent mollement un semblant de ciseaux flasques et
je me traîne vers Gibraltar. Un regard vers l’arrière du cockpit
me renseigne sur le fait qu’une myriade de gouttelettes huileuses
constelle le tableau arrière. Hasard ! C’est juste sous l’emplacement
du petit moteur hors bord que Marc m’a offert avant de partir. La
rage m’attaque les tripes car je déteste les trucs qui fuient et
qui se répandent doucereusement défiant l’attention. J’enlève le
sac poubelle qui protège la partie haute du moteur. Je constate
avec dégoût que le fond de bouteille plastique que j’avais disposé
sous le carburateur avant de partir, au cas ou ça fuirait, est plein
d’essence. Et bien évidemment ça fuit, et ça fuit tellement que
tout le réservoir est en train de se vider. Génial ! Pour les néophytes,
ça veut dire que toute la chaîne de distribution de carburant fuit,
à commencer par le petit robinet on/off à la sortie
du réservoir (le PD !), puis le pointeau du carburateur (l’enfoiré
!). Je n'aime pas les trucs qui salissent mon bateau ! Alors j’ai
vidé le réservoir et nettoyé le tout. J’en ai aussi profité pour
enlever la merde accumulée dans le tuyau d’alimentation du carburateur
et ai replacé mon fond de bouteille. On sait jamais un réservoir
ça pourrait peut-être fuir encore ! Pour finir, la protection spécialement
adaptée, j’ai nommé le sac en plastic de chez Auchan, a retrouvé
sa place sur la tête de cette mécanique fragile. Voilà une mâtinée
qui commence bien. D’ailleurs cette manipulation de carburant me
rappelle une des activités les plus frustrantes inhérentes à
la bonne marche d’un voilier. Je veux parler des transvasements
divers et variés de fluides non moins divers et variés
de conteneurs X vers des conteneurs Y, et bien évidemment, en pleine
mer.
A première vue, rien de bien méchant, sauf que lorsqu’il est nécessaire
de transférer un fluide, c’est souvent parce qu’on en dispose en
grande quantité dans de gros conteneurs et qu’on en a besoin en
quantité plus petite dans de plus petits conteneurs. Et tout est
proportionnel à cette hypothèse. Le trou de sortie du conteneur
duquel on veut transférer est toujours plus gros que le petit trou
de cul serré du petit conteneur dans lequel on veut reverser
le liquide qui, quant à lui, est presque toujours dégueulasse,
puant, collant, tachant voir dangereux.
Exemple. Pour verser du pétrole d’un bidon de 5 litres dans le réservoir
minuscule de la lampe à pétrole via un trou de pucelle même
pas consentante, c’est toute une histoire sachant que les vagues
se marrent à faire bouger l’ensemble du référentiel. Alors
j’ai tenté d’améliorer le process en utilisant un petit entonnoir,
histoire de voir si ça passerait mieux. Le résultat fut un désastre
dès la première tentative, avec en prime du pétrole partout.
J’ai déclenché une mini marée blanche (c’est quand même pas du pétrole
brut !).
Il y en avait partout. Quand tu es en train de verser, tu as l’impression
que tout est parfaitement stable autour de toi, y compris toi. Imagine,
te croyant stable, l’œil rivé sur l’entonnoir, dans une semi
pénombre à l’intérieur de ton bateau humide, tu contemples
en retenant ton souffle, ce filet de liquide fossile passer du bidon
que tu maintiens péniblement en position au bout de ton bras droit,
vers l’entonnoir fiché dans le culot du réservoir de la lampe à
pétrole qui, elle, est coincée par la main gauche. Le bras gauche,
lui, est occupé à maintenir l’équilibre de ton corps
avec les deux jambes et ta hanche gauche. Et puis soudain, ce con
de liquide fout le camp de l’entonnoir comme mû par une vie
intérieure propre. Il déguerpît tellement vite qu’on n'a pas le
temps de réagir. Alors on se dit que c’était juste une maladresse
isolée et qu’il n’y en aura pas d’autre parce qu’il faut la remplir
la lampe, alors on insiste en fermant les yeux sur le pétrole renversé.
Mais exactement une demie seconde plus tard, c’est de l’autre cote
de l’entonnoir que le pétrole s’éjecte. A ce moment là je
ne bouge toujours pas mais mon sang est en ébullition et je serais
prêt à tout plier en huit, à envoyer bidon, lampe
et entonnoir au mille diables. Alors j’ai créé un intermédiaire.
Je verse d’abord le pétrole dans une petite bouteille Evian, de
chez Auchan elle aussi, grâce à un petit tuyau qui me fait
office de siphon, et là, j’obtiens des résultats moyens mais
on fera avec. Je ne décrirai pas l’opération à mettre en
place pour le gasoil du moteur principal, l’essence du petit hors
bord ou même la semoule de la boite en carton vers le conteneur
en plastic étanche. Les petits grains de semoule qui envahissent
les moindres fentes, rainures ou autre anfractuosité du bois, ça
m’enrage tout autant.
11h00 Le petit vent arrière se maintient de façon fort sympathique
contrairement à hier ou il s’était orienté sud ouest, dans
le pif. Alors j’envoie, et c’est une grande première : LE SPINNAKER
Yeah ! ! Il est beau et la journée est magnifique j’avance très
confortablement. Pour fêter cela, je vais m’envoyer le reste de
la purée salsifieuse !
15h30 Le vent forcit et oriente à l’ouest. Je marche
au travers avec un spi à la limite de ses possibilités. Le
bateau étale 6 à 7 nœuds.
Sur tribord je m’approche d’un marais salant, c’est celui d’Almeria.
Il faut que je fasse attention car aux abords de ce genre de côte,
la profondeur est faible sur de grandes distances.
18h30 Pas besoin de s’inquiéter pour le banc salin car le
vent est totalement tombé vers 17h00. J’ai rangé le spi non sans
quelques difficultés liées au fait que le benêt s’est enroulé autour
de l’étai refusant ainsi de descendre, l’obstiné !
Vers 17h30, le vent s’est levé d’abord doucement du sud-est puis
vers 18h30, une bonne rafale a couché Winnibelle (décidément c’est
une manie en Méditerranée !). Puis le vent est monté à force
7 en quelques minutes. J’ai dû rapidement prendre 2 ris dans
la GV et enrouler d’urgence le Génois pour lui donner sa forme favorite
de sac de patate informe et trop haut ! Face à la violence
relative mais chiante quand elle te tombe dessus dans le nez, j’ai
décidé de me rendre sous le vent du marais salant où se trouve
une petite ville balnéaire (Aguadoulce sur la carte aéronautique).
Je me dirige donc vers cet endroit à 6.5 nœuds en espérant
que l’abri sera suffisant car le vent semble prêt à me montrer
les dents pendant un bon bout de temps.
Heureusement que je me suis méfié concernant la profondeur.
Le sondeur me donne très vite, et loin de la plage, une profondeur
qui oscille entre 4 et 5 mètres. J’ai tout juste le temps d’affaler
la grand voile et d’enrouler le Génois, qu’il me faut mouiller l’ancre.
J’avais un doute quant à la fiabilité du sondeur ou à
ma capacité à interpréter l’information, mais non, la delta
touche le fond comme prévu.
20h50 La distance qui me sépare de la plage est importante
et la mer est formée sur le mouillage. J’ai mouillé toute la chaîne
car ça tire fort sous les rafales. C’est la première fois que j’utilise
la delta dans des conditions dures. Pour l’instant elle se comporte
très bien. Le bateau ne dérape pas. Je vais me concocter un repas
d’enfer ! ! Semoule au thon. Après mon dîner, je sors dans le cockpit
et fais face à la violence du vent. L’air est extrêmement
doux mais chargé de poussière arrachée à la terre,
mes yeux s’irritent très vite.
Il est 21h00.
22h00 Les rafales sont maintenant extrêmement violentes. Je
suis impressionné. Je me sens impuissant face à cette puissance
naturelle. Je ne peux qu’attendre que ça mollisse et espérer que
le mouillage tienne bon. Si ça devait lâcher, j’ai beaucoup d’eau
derrière moi pour manœuvrer et me sortir de ce mini-golf. Je suis
serein, la situation est claire et sans danger immédiat. En cas
de pépin, les solutions sont prêtes. Etai largable, tourmentin.
Grand voile à trois ris et je sors de la zone en tirant un
bord vers le large. J’ouvre l’œil on ne sait jamais. Pas question
de dormir tant que le vent maintient cette force. |
|
Vendredi 8 décembre
Ca a bien tenu. Je passe la journée à me faire secouer
sur le mouillage car le vent souffle encore pas mal. Dans la nuit
il a atteint un paroxysme assez impressionnant ! Sur un fetch de
400 mètres, les creux atteignaient 1 mètre au niveau du bateau.
Il plongeait dans la vague créant des embruns qui venaient s’écraser
sur la capote du cockpit !. Par moment j’avais l’impression que
tout allait casser. C’était un bon test pour le mouillage. Je passe
le reste de ma journée à écrire des lettres à mes
amis, puis vers la fin d’après-midi je prends ma paire de jumelle
(celle que mon oncle Serge m’a offert) pour me rendre compte qu’une
jetée de port me fait des œillades à trois km au sud- ouest
de ma position.
Pas question de passer une autre nuit à me faire secouer
comme ça. Alors je lève le mouillage avec beaucoup de difficultés
car la delta est profondément enfoncée dans le sable.
18h00 Arrivée sous le vent de la fameuse jetée. Je mouille
bien à l’abri sur un plan d’eau calme. Enfin une nuit sereine.
|
|
Samedi 9 décembre.
8h40 Mise en chauffe du moteur pour lever l’ancre.
10h15 Je ne suis qu’à 800 mètres de la jetée et j’avance
vent de travers, enfin si on peut appeler ça du vent, à un
dixième de demi nœud !
11h00 Ca y est ! Mon vieux flux de sud ouest s’est mis en
place. Ca turbine assez doucement mais, le vent devrait se renforcer
graduellement. A la radio ce matin, j’apprends que Al Gore vient
d’obtenir le droit de comptage manuel dans un comté de Floride sur
9000 voix. Je suis scandalisé !
17h30 J’ai tiré des grands bords toute la journée contre
ce sud ouest. Je parcours beaucoup de miles en zig zag, mais pas
beaucoup à vol d’oiseau. C’est comme ça, au prés serré jour
après jour. Lors d’un virement de bord, alors que le vent est maintenant
très faible, la ligne, que je traîne d'ailleurs en pure perte depuis
son acquisition, s’est accrochée au talon du safran. Du coup, plus
besoin de plomb pour la faire couler. J’essayerai de la décrocher
lors du prochain virement de bord. A cette heure de la journée,
je me demande si je continue ou si je m’arrête dans le premier abri.
Je vais continuer près de la côte et des que le vent tombe,
je rentre.
20h30 Comme prévu, mon sud ouest est allé se coucher. Je
me dirige donc au moteur vers la ville d’Adra. Je m’en trouve à
5 ou 6 miles environ. Puis une gentille brise de terre se lève ce
qui me permet de renvoyer la toile. Je me dirige toujours vent de
travers cette fois en direction d’Adra.
22h00 Le vent retombe. Je redémarre le Volvo qui marchera
durant une heure trente jusqu'à l’entrée du port d’Adra. L’entrée
du port est difficile car lorsque la ville, la nuit, envoie ses
lumières dans les yeux d’un navigateur rentrant, il est presque
impossible de distinguer les détails des jetées et autre infrastructure.
Dans le cas de ce port, l’entrée est constituée de chicanes destinées
à briser la mer quand elle est grosse. Cet abri est complètement
artificiel et ne se situe sous le vent d’aucun obstacle naturel.
Il y a donc une série de feux rouges et verts qui clignotent à première
vue sans logique apparente, mais la nuit est tranquille, le vent
est nul et je rentre doucement. Je repère une place vide près d’un
Endurance 35, j’amarre le bateau et me connecte facilement à l’eau
et à l’électricité. Je suis encore en Europe ou les connexions coïncident
avec mon équipement de bord. Je me prends une superbe douche chaude,
puis remplis le réservoir. Un tour à la cabine téléphonique du coin
pour rassurer mes parents et je me couche à 1h15. |
|