Samedi 27 janvier 2001
00 h 30. Le bateau bouge tellement que je ne peux fermer l'œil.
J'attends d'être définitivement abruti de fatigue pour aller me
coucher et enfin dormir. J'ai réglé mon minuteur sur une heure.
Parce que depuis le Cap Vert je n'ai pas vu un seul cargo. Tant
mieux. Je vais essayer de me reposer un peu plus. Pour ce soir par
contre, c'est déjà compromis. J'entends les déferlantes qui déboulent
sur l'arrière de Winnibelle. A chaque fois, je me crispe à leur
passage, mais pour l'instant aucune n'est venue me rendre visite.
01 h 00. T.U.
Je recule l'heure de mon point GPS quotidien car je n'ai pas la
moindre envie de l'effectuer dans le noir. Alors une distance parcourue
de 137 miles en 25,5 heures d'où une vitesse moyenne de 5,37 nœuds.
C'est pour dire à quel point le vent était puissant pendant ces
dernières 24 heures sachant que j'ai considérablement réduit pendant
toute la nuit !
12 h 45. Ca va beaucoup mieux qu'hier. Le vent a mollit
force 4 à 5. Le génois est déroulé. Seule ombre, le ciel est bouché,
il n'y a pas de soleil. Mais l'allure est beaucoup plus confortable.
Je vais manger ce que j'ai préparé hier.
20 h 15. (22 h 15 T.U.) Pas grand chose à dire sur cette
journée. J'ai lu un livre que j'avais déjà commencé mais jamais
fini : Petit Traité des Grandes Vertus. Un excellent livre au demeurant.
J'ai fait ma gym comme tous les jours. Une heure de moteur et puis
relecture, recontemplation de la mer. Je commence à réfléchir sur
l'après voyage et comment je vais orienter le futur. L'idéal serait
de réunir assez d'argent pour me faire construire un voilier sur
mesure. Alors on verra le moment venu. Je crois que je vais d'abord
savourer la présence d'autres être humains autour de moi. En attendant
je termine ce que j'ai commencé et c'est bien. D'abord bien faire
les petites choses qui amènent à bien réussir les grandes et comme
d'habitude à cette heure-ci vient frapper à ma porte le souffle
sombre de la nuit qui s'étend toutes choses ici bas… La lune a fait
son apparition hier, mais elle ne reste pas longtemps dans le ciel.
Elle se couche déjà vers 22 heures. Mon pilote ronfle toujours aussi
régulièrement. J'espère qu'il va tenir jusqu'au bout ! |
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Dimanche 28 janvier 2001.
11 H 00 T.U. Soit 125 miles parcourus en 24 heures vitesse moyenne
5,2 nœuds. Hier je m'étais trompé en retraçant les coordonnées sur
la carte. Je n'avais effectué que 137 miles au lieu de 165 sur 25,5
heures. Ces choses là arrivent surtout le matin. Bon tout est rentré
dans l'ordre. Je dois corriger le pilote pour faire remonter le
bateau vers le Nord.
Il se maintient sur le même parallèle. La nuit s'est bien passée,
j'ai bien dormi par intervalles réguliers d'une heure, sauf deux
fois où je n'ai pas entendu la sonnerie.
18 h 35. Quelle belle journée les alizés sont enfin très
cool. J'ai pu arrêter le bateau pendant une demi-heure ce matin
pour ouvrir le coffre qui se trouve sous la barre et sous donc le
pilote. J'ai des bacs pleins de matériel de lubrification pour le
moteur. Tout ça flottait dans de l'eau de mer entrée en émulsion
avec de l'huile. Bref un cauchemar que j'ai asséché et bien nettoyé.
J'avais peur que les bidons commencent à rouiller. Ma pompe de vidange
se trouve aussi là-dedans. Il fallait que je nettoie tout ça, en
espérant que j'ai fini de recevoir des déferlantes sur le cockpit.
A part ça pas grand chose. J'ai fait ma gym est ai lu un peu.
En fait cela faisait deux jours que je m'étais retranché sur moi-même.
Je ne pouvais plus sortir du cercle infernal de ma haine envers
Stacy et sa famille.
Je n'ai fait qu'y penser me recroquevillant graduellement sur moi-même.
Aujourd'hui j'ai fait une sieste cet après-midi qui semble avoir
permis au négatif de s'évacuer un peu, car j'ai repris des courants
de pensée plus constructifs sur mon arrivée à Antigua etc...
Et surtout sur les offres auxquelles je dois répondre aux USA. Les
deux livres dans lesquels je me suis plongé me donnent le même message.
Il faut que je réussisse à transformer, à défaut d'éliminer, cette
haine qui ne rend triste que moi, qui ne consume que moi. Vaste
programme !
21 h 00. Cette british est une sacré accrocheuse. Dans le
Vendée Globe elle n'est plus qu'à dix miles derrière Desjoyaux.
Incroyable, j'aimerai bien faire sa connaissance. Cela doit être
un sacré petit bout de bonne femme ! (Il s'agit de Helen Mac Arthur).
Voilà j'en arrive à ce rendez-vous quotidien avec la nuit.
Elle s'est déjà répandue partout elle me fait face en me regardant
droit dans les yeux. Il faut y aller et commencer cette longue portion
de 24 heures. Quand le jour se lève, c'est comme si je recevais
une récompense. Heureusement, le vent est modéré et la mer relativement
belle. OUI il faut dire relativement car j'en connais un pacson
qui serait en train de dégueuler tripes et boyaux sur cette mer
" relativement " belle. |
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Lundi 29 Janvier 2001.
11 h 00 T.U. 127 miles parcourus à 5,3 nœuds de moyenne.
Le gain en latitude semble aussi être bon et devrait me positionner
vers le 17e à l'arrivée. Voilà, ce matin je me suis réveillé un
peu avant la fin de ma tranche d'une heure. Le soleil pénétrait
par la descente. J'ai éprouvé un sentiment de bonheur simple. Nous
sommes en plein hiver, et moi je suis allongé sur ma couchette,
bien calé, et baigné par la lumière chaude du soleil levant. Je
pourrais dire que c'est au alentours du 40e de longitude ouest que
l'on rencontre les alizés cools.
11 h 00. J'envoie la grand voile et le spi. Le vent n'est
pas très fort et me permet donc cette manœuvre. Ce faisant, j'ai
cassé la dernière latte de la grand voile, celle qui se situe le
plus près du point de drisse. Je réparerai avec du gros adhésif
noir à la tombée de la nuit quand j'affalerai le bastringue (si
je ne le fais pas avant !). L'éolienne ne tourne plus, c'est normal.
Le bateau marche trop bien avec le spi par rapport au vent. Donc
le vent apparent est presque nul. Je rechargerai au moteur cet après-midi.
J'aime beaucoup le vent arrière sous spi car le bateau est très
bien équilibré, la barre est au milieu et ne bouge quasiment pas.
21 h 15. Voilà une très belle journée. La manœuvre du spi
m'a permis de renouer avec le maniement des voiles et des bouts.
Ca fait tourner le matériel et gagner des miles, car Winnibelle
a foncé toute la journée. J'ai perdu une de mes savates spécial
bateau. Je les avais achetées pour trois fois rien à Tamariu lors
de l'un de nos rendez-vous nautique autour du Cers. Je les avais
recollées, recousues. Je les aimais beaucoup. C'est avec beaucoup
de tristesse que j'ai du me résoudre à jeter l'autre par-dessus
bord pour que la première ne se sente pas trop seule ! Voilà une
fois de plus, face à la nuit. J'y vais. |
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Mardi 30 janvier 2001.
J'ai parcouru 130 miles à 5,41 nœuds de moyenne. Le vent ce matin
est en net progrès car pas question d'envoyer le spi pour l'instant.
De plus, le spi a fait abattre le bateau vers le sud hier. Donc
j'ai encore perdu contre ce que j'avais gagné le jour d'avant. Il
faut que j'aille régler le bateau, il part au lofe continuellement.
12 h 30. Encore une bonne douche. Cette fois-ci je n'ai
attendu que six jours avant d'en reprendre une !!! Cool la vie sur
l'eau, surtout quand on est seul.
Mais pas question de trop se laisser aller d'ailleurs juste après,
j'ai passé une heure à me raser !!! 16 jours sans voir une lame
Gilette avaient donné une force et une résistance surprenante à
ma barbe. Enfin, me voilà propre et rasé de près. Ensuite, le vent
est passé franchement au nord-est ce qui m'a permis, vu que je remonte
vers le 17e, de faire du plein travers et donc de renvoyer la grand
voile en plus du génois tangonné. La combinaison est équilibrée
et le pilote fonctionne très à son aise. De plus, comme la houle
est de Nord-est, la mer aujourd'hui est très belle. Je n'ai pas
ce phénomène de mer hachée et croisée. La force du vent varie entre
3 et 4, bref encore une belle journée d'une navigation cool et sans
à coup.
16 h 35. Je viens de reculer mes montres de deux heures.
Celle qui me donne l'heure partout dans le monde me montre un fuseau
horaire que j'ai dépassé hier. Comme tous les jours aussi, je viens
d'achever ma gym. C'est le moment le plus redouté de la journée
pour dire si je m'active peu. Tout mon corps est comme groggy par
la fatigue générale dûe au sommeil perturbé, les mouvements
du bateau, la navigation etc. Viens le moment où je lui demande
consciemment de faire des efforts volontaires pour s'entretenir.
Autant dire que j'y vais à reculons. Mais une fois que je commence
à tirer sur les muscles, les vannes de l'énergie s'ouvrent et me
permettent d'aller jusqu'au bout.
35 pompes suivies de 80 flexions des jambes. Puis j'installe mon
tapis de sol sur le plancher pour faire 55 flexions des abdominaux
et je termine par 20 tractions pendu à l'écoutille du carré. Ensuite
j'en fait une deuxième série. Les pompes, je les fais sur trois
appuis. Les pieds sur la petite marche de la descente, la main droite
sur le bord de la table position basse et la main gauche sur la
couchette de navigation bâbord. Voilà un descriptif détaillé de
ma petite torture quotidienne.
20 h 15. Comme d'habitude, le vent est beaucoup plus fort
la nuit. J'ai laissé le génois en grand mais le bateau part trop
souvent au lof. Il va falloir que je réduise. Sinon, la journée
fut très belle. Je me suis fait une bonne tambouille avec de l'oignon,
du porc et des pommes de terre. J'en ai pour quelques repas. La
nuit est là, fidèle au rendez-vous. Elle me prend par la main et
m'entraîne vers ses profondeurs. Alors j'y vais. |
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Mercredi 31 janvier 2001.
00 h 55. Pas moyen de fermer l'œil, il y a des nuits comme
ça qui ne sont pas très cools. J'ai été obligé de fermer entièrement
la descente à cause des embruns qui rentraient dans le bateau. L'atmosphère
est donc étouffante à l'intérieur en plus du roulis important. Ca
ronfle à l'extérieur. Bon, je vais tenter de me recoucher après
un tour d'horizon supplémentaire.
07 h 10. Je viens d'essuyer des grains toute la nuit. Très difficile
de dormir dans ces conditions. Le dernier, au lever du jour, m'a
forcé à me catapulter hors de ma couchette pour réduire le génois
en catastrophe. Le bateau alternativement lofait et abattait entraînant
de violentes secousses à chaque fois que la voile se mettait à contre
ou fasseyait. C'était sport, encore une fois inattendu.
08 h 00. (11 h 00T.U.). 135 miles parcourus à 5,62 nœuds.
Par contre je n'ai presque pas gagné de terrain vers le Nord. J'ai
beau tenter de le faire remonter il n'y a rien à faire. Je vais
voir ce que je peux faire.
10 h 35. Un début de matinée passée à manœuvrer. Le vent
sous les grains est passé franchement Nord-est avec comme conséquences
la possibilité d'envoyer la grand voile car le vent relatif était
devenu plein travers. Je me chausse et me voilà virevoltant sur
le pont. Enlève la housse plie-la, range-la, défais les élastiques,
décroche le point de drisse que je place toujours au point d'écoute
voiles ferlées. Ensuite connectes-le au point de drisse, hisse la
voile en faisant attention de ne pas l'abîmer sous les câbles vu
que je la hisse vent arrière. Etablis un ris car ça souffle fort.
Règles l'ensemble grand voile, génois. Parfois ça marche. Sauf que
exactement après dix minutes d'installation, le vent repasse à l'Est.
La grand voile a donc commencé à déventer le génois. Au bout
d'une demie heure m'apercevant que ce vent d'Est n'allait vraisemblablement
pas revenir au Nord-est, j'ai affalé la grand voile et effectué
toutes les manœuvres inverses y compris l'installation de la housse
de protection. Je transpire en écrivant ces mots. Tout cela pour
montrer que la voie des alizés est une bonne voie bien sûr, car
comme qui dirait l'autre, que tu pêtes de travers ou rote à l'envers,
tu avances toujours vers l'ouest avec ce vent. Et tant mieux, par
contre, ce n'est pas une "croisière s'amuse" du tout !
15 h 30. (18 h 30 T.U.). Belle journée en vérité. Baston
sur baston. Grain sur grain. Vent fort mer croisée débile. Quelques
éclaircies de temps en temps. Des grosses vagues qui me tiennent
en alerte rouge en permanence. Bref toujours la même joie lorsque
le temps est dégueulasse et que ça fait 17 jours que ça dure. Je
pense aux solitaires du Vendée Globe. Ils ont des tripes, il faut
les saluer bien bas. Quand je pense que les deux premiers, Desjoyaux
et Helen Mac Arthur sont dans la zone des alizés et qu'ils vont
se prendre les fronts et dépressions des mers du Nord pour rentrer
au bercail. Ca me donne des frissons dans le dos.
18 h 25. Quelle journée éprouvante et qui n'en finit pas
dans sa dureté. Les grains ne me lâchent pas d'un pouce, ils se
multiplient au contraire maintenant que la nuit est toute proche.
L'horizon sur le Nord-est n'est qu'un amas imposant de nuages sombres
qui s'approchent inexorablement. Je vais encore me faire cartonner
cette nuit. C'est la vie ! Mais c'est troublant. Parfois j'ai du
mal à imaginer que cet univers formé de force et de violence parfois
insoutenables, puisse conduire au calme paradisiaque d'une île tropicale
!
19 h 45. Voilà, la vaisselle est faite, j'ai mangé. Le génois
est très réduit pour que je puisse passer une nuit relativement
tranquille. Car le cours de la vie ne déroge pas à cette règle là,
la nuit succède au jour ! Et donc je la suis, une fois de plus,
pour la vivre ma foi aussi calmement que possible malgré les circonstances.
Avant que le sommeil ne m'attrape comme dit Pépé, j'ai le temps
de méditer tout seul dans le noir (conservation d'énergie oblige
!).
23 h 25. (02 h 25 T.U.). Il y a une heure je sors effectuer
mon tour d'horizon, tout va bien, le vent me permet même de renvoyer
de la toile. Je me suis dit vu le ciel parfaitement étoilé que j'en
avais fini avec les grains. Tu parles d'un mauvais calcul. Je me
suis réveillé avec un grain violent en cours et ai assisté en direct
au passage du génois à contre. Branle-bas-de combat, j'ai dû
aller sur le pont car le passage à contre avait détaché le hale-bas
de tangon vers l'avant. Enfin encore des acrobaties en pleine nuit.
J'ai donc réduit le génois au niveau où j'aurai dû le laisser
avant. C'est chiant ces grains à la con qui te pourrissent tes réglages
en permanence. Soit tu ajustes la voilure en conséquence et là tu
n'arrêtes pas de mouliner, c'est ce que je fais pendant la journée,
soit tu réduis au niveau des grains les plus forts. C'est ce que
je fais la nuit. Mais là, il faut accepter d'être sous-toilé 50
% du temps c'est la vie ! |
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Jeudi 1er février 2001.
02 h 30. (05 h 30 T.U.). Encore un putain de grain énorme.
Il pleut, il vente, le bateau souffre. Le pilote le ramène avec
peine. L'alarme sonne toutes les minutes à cause des embardées incontrôlables.
Le roulis est infernale. Heureusement que j'ai remonté au maximum
l'extrémité du tangon car il flirte en permanence avec les vagues.
Le ciel est complètement bouché et moi je ne peux toujours pas fermer
l'œil, prêt à sortir dehors prendre la barre si ça tournait mal.
Ce que j'ai dû déjà faire par deux fois dans la journée. Vu
que je porte plus de toile, sous les grains le pilote a besoin d'aide.
Et ça roule, et vas-y que je t'emmènes d'un côté puis de l'autre.
Et le moteur qui veut se barrer de son berceau. D'ici que je me
reçoives le Volvo sur les genoux un de ces matins, il n'y a pas
des kilomètres.
Bon ça se calme au niveau du vent mais pas au niveau des oscillations
intempestives du rafiot. J'attends le prochain " tormentasso ".
04 h 55. Encore un grain qui vient de me passer dessus, je
suis chaussé, avec le K-WAY prêt à sortir. Ce que j'ai failli faire
mais ça c'est calmé au bon moment. Derrière il y a encore un grain
en attente. Il couvre tout l'horizon au milieu, quelques étoiles.
C'est chiant. C'est chiant. C'est chiant !
05 h 30. (08 h 30 T.U.). Et un de plus avec le vent, le roulis
et beaucoup de pluie. Mais ce qui est franchement réconfortant c'est
que j'aperçois le suivant qui bouche déjà son horizon. Lui aussi
il veut exister et me montrer qu'il en a d'aussi grosses que les
précédents. Génial !
07 h 35. Le jour vient de se lever sur une mer forte moutonneuse
croisée. Comme d'habitude Winnibelle navigue là-dessus en faisant
des embardées, en gîtant sous le passage des vagues. J'ai même embarqué
une grosse quantité d'eau sous le vent dans le cockpit ce matin.
Mes coffres du côté bâbord doivent être de nouveau pleins. C'est
pas la joie. Deux nuits et une journée de temps dur dur. Est-ce
que je vais avoir droit à un deuxième jour de ce régime là puis
une troisième nuit ? J'attends la météo à 11 h 40 T.U. pour savoir
à quoi je dois m'attendre aujourd'hui. Dans 20 minutes le point
GPS.
08 h 00. (11 h 00 T.U.) . 130 miles parcourus à 5,41 noeuds
de moyenne presque pas de gains vers le Nord ce qui est normal à
cause d'une grosse houle croisée en permanence du Nord. Je suis
fatigué. Le bateau est un enfer en ce moment. La mer est trop forte
pour que cette navigation soit plaisante.
08 h 40. De plus la météo confirme cette mer croisée par
houle de Nord par rapport à la mer du vent. Par contre cela devrait
se calmer cette nuit. Donc je dois encore en chier jusqu'à ce soir.
17 h 30. Je n'ai pas le moral du tout. J'en ai marre de me
battre contre cet océan qui ne me fait pas de cadeau. La mer est
forte depuis plusieurs jours. Il y a cette houle du nord qui m'use
les nerfs. Elle déporte constamment le bateau et le fait lofer.
Puis à chaque fois qu'il lofe je me prends une putain de grosse
vague en plein flanc. Ca m'asperge tout le cockpit et la descente
que je suis obligé de tenir fermée en permanence. Il y a eu des
grains aussi qu'il a fallu négocier de l'extérieur. J'en ai ras
les baskets comme dirait Marcel.
J'éprouve en plus aujourd'hui un intense sentiment de vide. Ma famille
me manque terriblement. J'ai été tellement heureux parmi eux pendant
cette dernière année. Je suis parti tellement abruptement que le
manque fait mal. Mes parents me manquent, me manquent. Je pense
tellement à eux, que j'ai l'impression d'être comme un petit garçon
qui ne veut pas quitter son papa et sa maman, mais je m'en fous.
Je les aime trop pour que cela est la moindre espèce d'importance.
Il faut que je gagne suffisamment d'argent pour pouvoir me payer
le plus d'aller-retour possibles. Je veux les voir aussi souvent
que j'en aurai envie. Ma famille est l'essentiel de ma vie et je
le sens douloureusement aujourd'hui au fur et à mesure que s'accumulent
les miles entre nous. Théoriquement il ne me reste plus que cinq
journées avant l'arrivée, mais dieu qu'elles sont longues ces dernières
journées à me faire secouer sans aucune forme de ménagement. Ah
tu voulais faire de la voile tout seul eh bien tiens prends ça mon
coco après tu viendras nous voir pour savoir si tu en veux encore
plus. C'est dur. Je l'avoue humblement c'est dur. Je comprends maintenant
beaucoup de ces choses que mes parents nous ont expliqué sur leurs
voyages et qui ne m'apparaissaient pas clairement à l'époque.
18 h 40. Encore une fois il fallait que le souffrance s'évacue.
J'ai pleuré et pleuré et encore pleuré. Ca me faisait tellement
mal ce manque d'amour. Dès que je vois ma mère avec son sourire
qui me regarde, ou bien une scène avec mon père et tout l'amour
qu'il dégage dans tous ses gestes, je fonds en larmes tellement
j'ai mal de leur absence. Ca va passer.
En attendant, les exigences de la navigation reprennent leur cours.
L'horizon est noir de nuages bas indiquant encore une nuit pleine
de grains. J'ai donc fortement réduit le génois en prévision. Ce
n'est pas le cœur joyeux une fois de plus que j'entre dans la nuit.
C'est le cœur lourd et plein de tristesse. Mais je sais que ça va
passer. 19 h 35. Premier grain de la nuit et ouverture des festivités
!
21 h 15. Deuxième grain d'importance avec rafale, pluie
et vagues.
02 h 00. Troisième grain d'importance. Je dis d'importance
car il y en a eu des petits intermédiaires mais là celui-ci était
très gros. Je viens de passer deux heures dehors à me faire bastonner
sous la pluie et un vent d'au moins 35 nœuds au plus fort. La voile
passait à contre allègrement sous-pilote. Ca n'arrête décidément
pas. Nous sommes dans la troisième nuit de ce régime de grains.
Pendant celui-ci, j'ai encore pris des paquets de mer. Sachant que
mes coffres laissent passer autant d'eau qu'une passoire, Ca ne
m'aide pas à retrouver le moral. Toutes les affaires entreposées
doivent être de nouveau trempées. Au moment où j'écris, il y a une
vague qui vient de faire gîter le bateau au delà du raisonnable.
J'ai des gousses d'ail et des citrons qui se sont éjectés du filet.
Ca n'arrête pas. Ca ne débande pas. Ca continue et ça m'emmerde
puissamment.
Sympas les alizés. Je m'en souviendrais.
03 h 45. 4e grain mais cette fois-ci pas de pluie ni de grosses
rafales. J'en ai été quitte pour 45 minutes passées dehors tout
équipé à attendre qu'il se passe vraiment quelque chose. Mais tant
mieux, il ne s'est rien passé que le pilote ne puisse gérer. Donc
me revoilà au chaud et au sec en attendant le prochain. |
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Vendredi 2 février 2001.
07 h 50. Il y en a eu plein d'autres des grains. La nuit n'a
été qu'une succession de grains. Mais ils n'ont pas atteint suffisamment
de violence pour nécessiter une sortie de ma part. Alors je me suis
contenté de veiller au grain (d'où l'expression !). Le jour se lève
sur une mer malheureusement habituelle, c'est à dire forte, moutonneuse
et bouillonnante car toujours aussi croisée. Je me prépare à faire
ou plutôt à recevoir mon point GPS.
08 H 00. (11 h 00 T.U.). Yeah !!! 135 miles parcourus à 5,62
nœuds excellente nouvelle car la latitude est 17e parallèle ce qui
va m'autoriser enfin à abattre pour me diriger exclusivement vers
Antigua. Je n'ai plus ce souci de la remontée vers le Nord pour
éviter la Guadeloupe. En fait je ne me doutais pas que sur cette
dernière journée j'avais si bien marchée vers le Nord car durant
la journée d'avant je n'avais pratiquement pas progressé pourtant
sur le même cap corrigé. Enfin ça, c'est une super nouvelle. En
plus 135 miles c'est bien par rapport au fait que je suis sous-toilé
la nuit à cause des grains. Bon je suis au cap 295. Je vais pouvoir
afficher 288 et m'éloigner de la zone du départ au lofe.
Ah ça va beaucoup mieux ce matin !
08 h 40. RFI annonce de la mer forte, ça c'est pas nouveau,
et des grains espacés avec des rafales (de grains) aux alentours
de 8 beaufort. J'ai déjà eu ça cette nuit et en général dans ces
parages c'est la nuit que le fun se précise. J'ai tenté de déborder
le génois et de renvoyer un peu de toile mais après deux aulofées
du diable et un passage à contre du génois, j'ai repris le réglage
initial. Il y a vraiment beaucoup de vent. J'ai encore une fois
assisté en direct au balayage du roof par une vague plus grosse
que les autres qui se trouvait comme par le simple fait du hasard
au bon endroit et au bon moment, c'est-à-dire pendant un départ
au lofe.
Après une nuit éprouvante, la journée s'annonce sport. Mais au moins
c'est vers Antigua que je me dirige maintenant et plus vers la Guadeloupe.
L'air de rien, cela me travaillait les méninges de constater que
j'éprouvais des difficultés à remonter vers le 17e . Winnibelle
est une sorte de camp retranché à l'intérieur duquel je me terre.
J'effectue le moins de sortie possible pour éviter de me faire doucher.
Le ciré pend sur ses cintres pour sécher de la nuit. Toutes les
ouvertures sont fermées. J'espère que ça va un peu se calmer cet
après-midi sinon je vais étouffer là-dedans. Mais le moral est remonté.
Je regarde de plus en plus les cartes d'Antigua pour l'atterrissage.
17 h 35. Une journée sans histoire si ce n'est le vent et
la mer qui sont toujours aussi puissants. J'ai dû comme d'habitude
recevoir mon lot quotidien d'au moins trois vagues dans le cockpit.
Un regard rapide dans le coffre situé sous le pilote et donc la
barre franche, me montre de nouveau de l'eau dans les bacs conteneurs
des bidons d'huile. Je les avait si bien nettoyés il y a 3 ou 4
jours ma foi. J'attendrai d'être arrêté dans une baie pour le refaire
ce nettoyage. Bien sûr tout ce qui est huile est jeté dans un sac
plastique ! J'ai effectué ma gym quotidienne. Ca va, je me maintiens
en état physiquement. Avec ce vent, l'éolienne charge bien. Ca fait
trois ou quatre jours que je n'ai pas démarré le Volvo. Je le ferai
tourner, si le vent se maintient comme ça, la veille de mon arrivée.
Je pense beaucoup à mes parents, à mon frère, à Graziella et Matt.
Je pense à ceux que j'aime plus que tout. Je les imagine en train
de vivre leur vie. Le soleil s'avance vers son horizon et bientôt
ce sera la nuit, et son bazar de grains, de vent, de pluie et de
rafales. Je m'y prépare psychologiquement car, seul, c'est pas faute
d'essayer de se reposer tout en restant en alerte pour agir vite
et dans de bonnes conditions. Il ne s'agit pas en effet de se foutre
à l'eau parce qu'on sort des profondeurs abyssales d'un sommeil
de plomb et que les réflexes sont mous. Quelques fois lorsque je
suis assis sur le pont, je regarde l'eau défiler le long de la coque.
Mon regard croise la corde qui traîne à l'arrière du bateau depuis
le départ de Grand Canaria. J'imagine alors quelles seraient mes
réactions si je venais à tomber à l'eau en pleine nuit. J'imagine
mes mains cherchant désespérément le contact du cordage, alors que
celui-ci défile sans bruit. Je n'aurai que quelques secondes pour
le trouver et le saisir. Evaluer sa position par rapport à celle
du bateau alors encore tout près mais qui s'éloigne vite. Je le
sens et au moment où je donne l'ordre à mes doigts de se resserrer
dessus, il m'échappe. Et je regarde, impuissant, Winnibelle s'éloigner
tranquillement sous pilote automatique, indifférent au drame qui
se joue derrière lui. Je le vois encore pas mal de temps car le
feu de tête de mât est allumé. Puis je suis seul dans le noir, dans
l'eau, dans un océan qui n'attend plus que ma mort pour m'absorber
lentement. Enfin bref, heureusement qu'il y a le harnais !!
21 h 00. (00 h 00 T.U.). Je viens de passer une petite heure
à régler Z. Il n'arrivait pas à tenir le bateau qui partait successivement
soit au lofe soit à l'abattée. J'en ai d'abord déduis que le génois
était trop enroulé pour le vent. En effet, si l'avant n'est pas
assez tiré, à chaque fois qu'une vague déporte le bateau soit sur
un bord, soit sur l'autre, il reste planté là, connement, en travers
avec pas assez de traction pour revenir sur la trajectoire. Alors
je lui ai donné de la surface à ce génois. C'était mieux, mais pas
suffisant. Cette fois ci il ne partait plus en abattée mais il continuait
de lofer à cause de la force du vent, et surtout, à cause de la
lenteur du pilote à le ramener sur sa trajectoire maintenant que
sa traction est suffisante pour le remettre en place. Alors je l'ai
recalibré le petit Z. Je lui ai demandé de bosser un peu plus. Donc
dans le réglage du rudder gain qui se trouvait à 1 sur une échelle
de 10, avec recommandation usine sur 5 !!!, je l'ai positionné sur
2, et ça marche déjà beaucoup mieux ! Je suis toujours en standby
pour les grains. Il y en a un petit qui vient de me passer dessus
mais sans problème. |
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Samedi 3 février 2001.
00 h 30. Voici le quatrième ou cinquième grain depuis le début
de la nuit. Il pleut, heureusement pas longtemps. Le vent est très
irrégulier au milieu de tous ces grains. En général il tombe presque
complètement juste après le passage de l'un d'eux, puis il redémarre
jusqu'au suivant. Pour l'instant Z s'occupe de tout. Moi je veille.
Le bateau bondit dans tous les sens avec cette mer hachée.
05 h 30. Mes coffres représentent décidément la grosse écharde
dans le pied que je possède ce soir, que dis-je, c'est pas une écharde
dans le pied, c'est un pylône dans le cul que j'ai en ce moment
et en prime, deux mongol fières à la place des glandes. Eh oui,
pourquoi cela m'arrive-t-il aussi souvent pendant cette traversée
??
Voilà un mystère qu'il me faudra élucider certainement après ma
mort. Avant nulle réponse claire à attendre. Car enfin comment se
fait-il, alors que Papa et Maman ayant déjà effectué deux fois ce
même trajet l'ont-ils vécu aussi différemment. Quelques fois mais
pas souvent disent-ils, une vague un peu plus grosse que les autres
est venue nous éclabousser un petit peu !! Alors comment diable
et pourquoi diantre, alors que je venais à 04 h 30 d'effectuer mon
tour d'horizon et que j'avais refermé la descente et le panneau,
me suis-je fais une fois de plus ensevelir et le mot est faible,
engloutir par une déferlante ?? Pourquoi de putain de bordel d'enfoiré
de salope de merde ces déferlantes me déboulent du confint de l'océan
pour finir leur saloperie de voyage dans mon cockpit ? Elles me
l'ont couché comme d'habitude dans une sorte de vrombissement sifflant.
Je me suis reçu les oignons, les gousses d'ail (heureusement qu'il
ne reste plus grand chose dans le filet) et les citrons sur la gueule.
J'ai aussi senti oh joie innéfable, de l'eau sur le visage et sur
les mains, seules parties de mon corps qui se trouvaient découvertes.
Le bateau à peine redressé, je me précipite sur ma lampe torche
pour constater les dégâts. Dehors, les planchers du cockpit, je
vous le donne dans le mille, flottent comme d'habitude dans une
piscine d'eau claire. Ah pour être propre et claire, elle est propre
et claire la flotte. Elle est aussi très humide.
Je soulève le plancher, il y a de l'eau jusqu'au ras de la vache
à eau. Il y a eu mieux dans le genre. Je ne peux que m'en féliciter
ce soir. Au moins c'est pas la pire. Alors en avant monsieur Propre
et les essuie-touts. Je frotte, j'astique, je fais briller en marmonnant
de sourdes injures entre mes dents, faut-il le préciser, serrées.
Ensuite je me suis équipé pour les grandes occasions. En effet avec
une telle déferlante sur la gueule, cela doit sérieusement bastonner
là-dehors. Je sors comme un cosmonaute avec, dans ma poche gauche,
ma lampe torche (des fois que ma lampe frontale serait insuffisante
!) le WD40 et dans ma poche gauche, une tasse de thé avec soit dit
en passant car c'est un détail que j'ai pu remarquer dans la semi
pénombre humide de l'intérieur, le signe de la balance imprimé avec
un commentaire adapté sur la périphérie de la tasse. Et en avant,
d'abord l'aquarium à l'intérieur duquel je n'entrepose plus que
ma survie et mes sacs de poubelle pleins. Heureusement la vague
était venue de bâbord, l'aquarium n'est pas plein. Par contre le
coffre tribord révèle une atmosphère assez humide vais-je dire.
Les sacs à voile sont franchement trempés. Mais c'est surtout la
partie électronique qui m'inquiète. Le régulateur de l'éolienne
et sa grosse résistance sont là pleins de gouttelettes d'eau de
mer. Le chargeur de batterie pour le quai, est dans le même état
etc. J'essuie tout et vaporise du WD40 partout en attendant de faire
mieux. Le dernier coffre, je ne fais que l'entrouvrir car il se
trouve sous le pilote et la barre franche. Pour le traiter il me
faut arrêter le bateau. Mais il n'y a rien de vital là dedans. Ca
pourra attendre. Mon premier coup d'œil à l'environnement me surprend
car ça ne bastonne pas plus que ça.
Le vent est force 6 comme d'habitude depuis trois jours et trois
nuits, les vagues sont fortes mais tout à fait gérables. Alors d'où
ça vient cette merde ?? Vivement que ça s'arrête. J'en ai vraiment
marre de me faire secouer comme ça. Et ça roule et ça n'en finit
pas de rouler. Pas de répit de ce côté là. Il me faut au plus vite
étanchéifier les coffres. Mais pour ce faire il faut que je m'arrête
de naviguer. Alors voilà mon avenir : quand je navigue, je suis
harcelé par les conséquences des faiblesses structurelles que je
n'avais pas su identifier avant ce voyage et dès que je m'arrête
c'est d'abord pour réparer les conséquences de ce harcèlement. Il
va falloir que je stabilise tout ça et vite car au rythme où c'est
parti, je vais commencer à travailler pour les Canadiens et je n'aurais
même pas eu le temps de voir autre chose que le cul du fond du trou
de balle de mes coffres !! Je ne peux même pas tenter de me reposer…
c'est mouillé bordel !!
07 h 00. Bon j'ai tout de même pu dormir une heure. Le jour
se lève sur une mer absolument débile. Je comprends maintenant pourquoi
j'ai reçu un monstre sur ma gueule. La mer est forte mais débilement.
Il y a des vagues d'au moins trois mètres mais très courtes. Le
bateau les monte tout juste pour le moment. Ca clapote dans tous
les sens. Je navigue dans une poêle à frire. Je ne comprends pas
que l'Atlantique sous les alizés, un vent pourtant régulier et constant
en direction, puisse présenter une telle cacophonie. Si ça continue
j'en prendrai sûrement d'autres aujourd'hui et cette nuit et demain
et jusqu'à ce que je me mettes enfin à l'abri. Je comprends pourquoi
Z ne contrôlait plus le bateau dès hier soir. C'est à cause de cette
mer impensable dans cette région. Mais enfin pourquoi est-elle aussi
croisée, aussi irrégulière. Je le vois bien maintenant à la lueur
du jour. Les vagues m'entraînent alternativement mais sans régularité
ou rythme prévisible, d'un côté ou de l'autre. Alors les grains
c'est terminé mais autre chose d'encore plus chiant prend la relève.
Je viens de mettre stupidement le sondeur pour voir si je me trouve
sur un haut fond à 300 milles des premières îles où peut-être il
y a la flotte de sous-marins russes à 30 mètres de profondeur ou
que sais-je encore, un grand rassemblement de poulpes géants ! A
que c'est long, que c'est long surtout dans ces conditions. Alors
j'attends, j'attends la mauvaise combinaison qui placera Winnibelle
exactement sur la trajectoire d'une de ces monstrasses de déferlante.
J'essaie de ne pas y penser et de faire comme si de rien était,
car la caractéristique de ce genre de phénomène, c'est qu'on y peut
strictement rien. Quant ça te tombe dessus, tout le monde aux abris
!
08 h 00. (11 h 00 T.U.). Soit 140 miles parcourus à 5,85
nœuds. Un peu trop sur le Nord maintenant, il faut que je corrige
tout de suite. J'ai de la peine à réaliser que je suis à 2 jours
du but. Cela me paraît irréel et en tout cas dépassionné j'en suis
encore suffisamment loin pour, n'en voyant aucun signe, n'éprouver
que peu de choses par rapport à l'événement.
08 h 40. La météo est inchangée force 5 à 6 Est/Nord-est
sur la zone où je me trouve avec une houle croisée du nord. Pas
de répit donc pour moi et cela jusqu'à la fin. Je dois en plus m'attendre
à recevoir encore d'autres déferlantes. Autant dire que je serre
les fesses durant ses dernières 48 heures.
17 h 45. Voilà un après-midi passé. J'ai dormi la plupart
du temps car cela faisait maintenant deux nuits que je n'avais pratiquement
pas fermé l'œil. Le vent a mollit dès le début de l'après-midi ce
qui m'a permis de renvoyer du génois (presque entièrement) et de
me reposer. J'ai fait ma gym comme d'habitude vers 16 h 30 puis
j'ai observé et médité le regard posé sur l'océan enfin calme. Ca
fait beaucoup de bien quand la nature t'offres un moment de répit.
Je commence à ressentir des élans de plaisir à l'idée d'arriver
bientôt. Ca me prend par petites vagues au creux des tripes. Je
commence seulement à réaliser ce qui m'arrive. Je suis en train
d'achever (enfin j'espère il reste encore quelques milles !) un
grand rêve. La traversée de l'Atlantique en solitaire. Même si ça
se fait souvent de nos jours, soit par des coureurs professionnels,
soit par des gens comme moi, ça n'en reste pas moins selon moi,
une épreuve difficile. En d'autres termes, il faut tout de même
le faire !
21 h 10. Voilà en plein dans la nuit. Le vent est un peu
moins fort que la nuit dernière. J'espère que les déferlantes m'éviterons
ce soir. |
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Dimanche 4 février 2001.
04 h 50. Fait suffisamment rarissime donc je le mentionne.
Je viens de me faire proprement éjecter de ma couchette. Tu parles
d'un réveil. Plutôt brutal on va dire. J'ai atterri sur le plancher
avec ma couette en prime et une gousse d'ail toujours la même. Celle-là
elle m'emmerde depuis Las Palmas. J'ai tout de suite imaginé que
j'avais encore reçu une déferlante sur la gueule. Mais non. Pas
d'eau dans le cockpit, tout est resté en place dans l'intérieur
du bateau. Il n'y a que moi ma couette et ma gousse d'ail qui avaient
giclés !!! Va comprendre.
07 h 15. Un grain assez sérieux vient de me passer dessus.
Je n'ai rien eu à faire. Winnibelle s'est défendu tout seul. Grâce
à son génois bien réduit et à son réglage de pilote sur 2 il a bien
encaissé le grain. Il y en a un autre qui se profile à l'horizon.
Je suis heureux qu'il ne survienne qu'au petit matin. Pendant la
nuit c'est vraiment pénible. Maintenant je suis bien reposé et je
peux faire face en toute sérénité. Tiens au fait : je ne suis plus
qu'à une journée de l'arrivée !! le pied, le pied, le pied.
08 h 00. (11 h 00 T.U.). Le deuxième grain est en train de
passer. Ca va. 142 miles parcourus à presque 6 nœuds de moyenne.
Et bien positionné par rapport à la latitude. Je vais bien la surveiller
tout au long de la journée. Je pense que je vais osciller de 1°
en plus ou en moins pour bien rester sur cette trajectoire. Aujourd'hui
en plus des innombrables tâches que je dois effectuer quotidiennement
(aller au WC, petit-déjeuner, déjeuner, gym, dîner, veille, dormir)
je vais replacer l'ancre principale et sa chaîne à leurs places
sur l'avant. Hier j'ai fait tourner le moteur 15 minutes juste pour
être sûr que tout fonctionne bien dans ce département. Je ne voulais
pas être en face de la baie et découvrir une merde mécanique à ce
moment-là. Il y a eu tellement de vent que depuis 4 à 5 jours l'éolienne
me recharge les batteries sans l'aide du moteur.
16 h 30. Un grain assez fort est en train de passer. J'en
vois deux autres derrière. Ca va être une soirée et une nuit fun
à ce que je pressens. Bon j'ai replacé mon mouillage. J'ai écris
une lettre à Jean et Marika, hier c'était Judith, avant-hier John
Deveras. Peut-être en écrirai-je une autre aux Coyanagi ce soir
en attendant je laisse passer ce grain, puis je vais faire ma gym.
J'ai le cœur léger. Je ne suis plus qu'à quelques 75 miles du but.
Je suis resté après ma gym, une bonne heure sur le pont à scruter
l'horizon pour voir si je décelait la présence d'une quelconque
terre. Je pensais que lorsque le soleil serait juste derrière l'horizon,
je pourrais peut-être distinguer les contours même diffus, d'une
côte et en particulier celle de la Guadeloupe. Mais non rien. Alors
j'ai démarré le moteur pour le faire tourner un petit peu. Je veux
vraiment que tout soit en parfait état de marche pour l'arrivée.
Ca me permet d'écouter de la musique car l'autoradio est à fond
quand le moteur tourne. J'ai touché l'alternateur. Il n'est pas
chaud ce qui veut dire que les batteries sont pleines ou pas loin.
Quand elles ont besoin d'un coup de charge, l'alternateur se met
très vite à chauffer. Donc tout va bien. La nuit est là déjà. C'est
la dernière avant l'arrivée demain matin. J'y crois à peine. C'était
vraiment à l'arrachée cette traversée. Départ trop tard dans la
saison, matériel minimum, pas aux normes en terme de sécurité, bateau
âgé de 26 ans. Il faut aller se la chercher la traversée !! et seul
en plus. Il faudra que je fasse attention aux réactions des miens
et des îliens lorsque je m'exprimerai demain. Ca me permettra de
voir si je suis devenu complètement timbré après deux mois et quelques
douze jours passés seul en mer !! Parce que j'écris là comme ça,
pensant que tout va bien au niveau du pont supérieur, mais rien
ne me le prouve. Mon référentiel a peut-être basculé dans celui
de la folie engendrant du même coup une illusion de normalité. Enfin
pour le moment j'ai pas cherché à démarrer le moteur en tournant
la manivelle de winch de la drisse de grand voile. C'est bon signe. |
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Lundi 5 février 2001.
03 h 25. J'effectue des tranches de sommeil de trente minutes.
Je me suis dit qu'il y avait peut-être du trafic près des îles.
Mais pour l'instant, je ne vois rien, ni bateau ni terre. Je n'en
suis plus qu'à une distance de 26 miles avec une superbe lune. Mais
je ne vois toujours rien.
04 h 00. Et voilà ! Je ne vois toujours pas de relief, mais
je viens de voir les premières lueurs de ce qui pourrait être un
phare, mais il est fixe. Je n'éprouve pas grand chose, peut-être
qu'à cette heure là je suis encore et même certainement, complètement
dans le pâté ! Plus que 21 miles. Et il va falloir que je ralentisse
l'allure car j'ai l'impression que j'arrive un peu trop vite !!
07 h 20. Le soleil se lève. L'île est en face de moi. La
distance qui m'en sépare à quelque chose d'irréelle tellement elle
est courte. 4 Miles seulement. Je suis partagé entre un intense
sentiment de soulagement et de sérénité, et une inquiétude liée
aux formalités dites payantes. J'espère que je ne vais pas me faire
matraquer la gueule !! Déjà, je suis préoccupé par des détails d'ordre
administratif.
08 h 00. (11 h 00 T.U.). Pas besoin d'inscrire ici la position
je suis dans la baie English Harbor. C'est beau, c'est calme. Ah
que c'est bon d'être au calme. J'ai effectué 137 miles en 24 heures
soit 5,7 nœuds de moyenne. Je suis fatigué, sale mais heureux. J'effectue
tous mes gestes lentement pour bien m'imprégner de cette douceur
qui me masse l'esprit et le corps. Il est tôt, beaucoup plus tôt
que ne l'affiche ma montre et c'est bien, c'est caressant. Je déplie
mon annexe, la gonfle. Autant s'occuper dès maintenant des opérations
un peu chiantes voir salissantes avant que je me lave. Je reconditionne
le petit moteur. Cette fois il démarre dès le deuxième coup. Je
prends un petit-déjeuner avec du thé et les trois derniers petits
gâteaux que John Deveras m'avait donné lors de notre aventure à
la Escala. C'est un peu symbolique, j'ai commencé ce voyage avec
John Deveras et je le termine avec ses trois derniers petits gâteaux.
Moi, j'ai changé. Je sais que je ne suis plus tout à fait le même.
La mort, la nature brute, la solitude, l'angoisse et bien d'autres
sentiments se sont imposés brutalement à mon âme. Et ça vous change
quelle que soit la résistance qu'on tente d'y opposer. Je me suis
ensuite occupé de ma coque avec le masque et tuba pour faire un
tour des œuvres vives. Tout est nickel. Moi qui avait peur de retrouver
mon entrée d'eau de refroidissement de moteur plein de moules de
coquillages ou autres locataires indésirables à cet endroit, je
n'y ai vu qu'une entrée de vanne parfaitement propre. Pas de fissure
à la liaison lest quille. Ca c'est vraiment extra. J'ai toujours
eu un doute sur cette liaison là. Après ce que le bateau a pris
dans la tronche, je ne peux être que rassuré. Vu que j'étais dans
l'eau, j'en ai profité pour nager vers mon voisin immédiat, un suisse
avec un gros bateau en bois. Il m'invite à bord où je leur pose
des questions sur la douane, les formalités, le téléphone, Internet,
post-office, etc.
Ils sont charmants et vraiment sympathiques. De plus cela fait 22
jours que je n'ai pas ouvert la bouche autrement que pour injurier
la vague qui venait de m'arroser ou le vent qui venait de tourner,
ou le bateau qui venait de me donner un coup ou moi parce que je
venais de faire une connerie ! Alors je les ai abreuvé de paroles
pendant 15 minutes.
Après cela j'ai pris mon bain, je me suis rasé, lavé les dents,
parfumé et hop dans l'annexe avec papiers, argent, etc.
Les suisses m'ont parlé d'un droit au stationnement journalier,
plus d'un permis de cruising pour visiter l'île. Je crois que j'éviterai
tout simplement d'aller leur rendre visite. Je vais tenter de reprendre
contact avec ma famille puis j'irai voir ailleurs.
12 h 00. En effet c'est très très très cher ici 16 $ US pour
moins de 4 minutes (3 mn 57s pour être exact) alors je poste mes
lettres (j'en ai écris 4) 4 $ US et je me rabats vers l'Internet
(13 $ US pour 1 heure). Voilà tous les messages sont envoyés j'attends
jusqu'à demain pour bien nettoyer mes coffres encore pleins d'eau,
puis pour attendre les réponses internet, puis je partirai vers
Saba. J'espère que c'est plus raisonnable là-bas. |
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Mardi 6 février 2001.
On dirait que ce cahier a été spécialement conçu pour mon voyage
car il arrive lui aussi à sa fin. J'ai mesuré avec précision mes
distances pour faire le bilan.
L'ensemble du voyage
du 22 novembre au 5 février, soit 75 jours au total.
La distance totale du voyage : 4 600 miles soit 8520 kilomètres.
De Grand Canaria (Las Palmas) à Antigua la distance est de
2 950 miles en 22 jours soit 134 miles par jour, à 5,6 nœuds
de moyenne
et en 22 jours je n'ai consommé que 20 litres d'eau potable.
Grand Canaria/Antigua : 2 950 miles (5 465 kilometres).
Grand Canaria/Ibiza : 1 370 miles (2 540 kilometres).
Ibiza/St Cyprien : 270 miles (500 kilometres).
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Hier je me suis fait un bon plat de pâtes délicieux, ensuite je
me suis dit que je ferais une petite sieste avant d'aller goûter
aux joies des maisons, des magasins, des gens vers 18 heures. Mais
je me suis couché à 15 heures et ne me suis réveillé aujourd'hui
qu'à 6 h 00 du matin. 15 heures de sommeil sans interruption, ça
fait du bien et surtout, ça faisait longtemps. Voilà un rêve de
plus. C'est toujours ça de pris sur la vie (clin d'œil à mon frère
!).
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