Départ le 22 Novembre 2000,
J’ai pris la mer, selon la formule consacrée.


J’étais avec un anglais de 60 ans rencontré depuis peu à Santa Margarita ou je stationnais depuis trois semaines en attendant mon entretien avec l’administration française.
John avait exprimé le désir de m’accompagner pour une petite distance. Lui même vit sur un voilier. Un fifty parqué à Santa Margarita depuis quelques années déjà.
Son problème, c’est la solitude qu’il a besoin de conjurer par tous les moyens. Je suis devenu en quelques jours une sorte de bouée de sauvetage anti solitude.
Comme il est très respectueux avec son port très british et une observation constante des limites de bienséance à ne pas dépasser, sa compagnie ne m’est pas du tout pénible.
De plus c’est un navigateur confirmé qui de toute évidence connaît son affaire.

Cet après-midi là, j’ai quitté mes parents le cœur très gros. Maman était particulièrement inquiète à cause d’une perturbation devant passer sur la zone avec, selon les services de météo France à la télévision, des vents de Sud (donc contraire à ma direction) devant atteindre la force 8 le lendemain matin.

Mais au-delà, l’expérience d’une aventure accomplie vers laquelle je m’engage en toute insouciance. Maman sait, au moment ou elle me tend mes dernières amarres, que la terre est vaste quand on décidé de la parcourir en voilier. Je ne comprend pas encore la souffrance d’une mère et d’un père face à un rejeton têtu qui s’en va affronter seul des situations pour lesquelles il n’est peut être pas bien armé. La suite devait leur donner raison.

Comme je devais retrouver Marc et sa petite amie Nathalie à San Feliu de Guixols dans la journée du lendemain, j’avais donc décidé de partir durant la nuit pour arriver à San Feliu le lendemain et éviter le gros de la perturbation.
Une fois là-bas, j’embarquais Marc et Nathalie avec lesquels je devais me rendre à Barcelone pour y réceptionner la famille Michez.
A Barcelone nous devions tous nous rendre au salon nautique. Voilà pour la toile de fond.

Donc nous somme partis au près serré en tirant un bord vers le large du golfe de Rosas. J’ai 2 ris dans la grand voile et le Génois est aussi un peu réduis, mais pas trop car le vent est de force 5. La nuit tombe et je me pose quelques questions. Il y a un an et, malgré la préparation technique sérieuse que j’avais effectué sur le bateau avant de quitter Paris par la Seine, j’avais du faire face à de nombreux problèmes au tout début du voyage. Comme si le bateau avait besoin d’une période de mise en condition avant de se stabiliser.

Et cette nuit du 22 Novembre constitue la première sortie réelle avec une prédiction de vent soutenu et contraire pour la nuit. Va t il se passer quelque chose ?
Normalement le bateau est maintenant quasi neuf malgré ses 26 ans.

Vers 19h30 le vent forcit à la force 6. Comme j’ai déjà bien réduit la voilure en prévision, tout va bien.
J’attends 20h00 pour prendre une météo plus précise que celle de la télévision. Pendant ce temps mon british s’éclate avec élégance et retenue bien sûr. Nous discutons de choses et d’autres.
A 20h00, je prends la météo marine sur France inter dans la cabine, quand le bateau se met à gîter brutalement. Le vent est en train de forcir encore plus. Mais j’attends d’avoir les prédictions avant de remonter sur le pont pour commencer à réduire.
La charmante dame de la station radio annonce pour la zone et pour la nuit, un coup de vent de secteur Sud force 8 avec des rafales à 9. C’est beaucoup trop pour un début.
Mon british me demande, alors que je sors la tête de la cabine, avec un flegme et une décontraction surprenants quand on considère que le bateau surtoilé à ce moment gîte à 45 degrés voir 50 : « quelle sont les prévisions ? ». Evidemment nous prenons la décision de nous mettre à l’abri sous le vent du prochain cap dans un petit port appelé la Escala.
A ce moment là, le vent atteint la force 7 et ça secoue très durement. Il faut virer de bord pour revenir vers la côte.
Normalement il est facile de virer de bord à la voile, mais ce soir là, j’avais installé l’étai largable. C’est un deuxième câble parallèle au premier. Ce câble existe sur les bateau possédant une voile d’avant sur enrouleur. Quand le vent forcit, on enroule, et à force d’enrouler on obtient une petite voile d’avant triangulaire capable normalement d’encaisser des vents violents, sauf que dans la réalité, cette voile une fois bien enroulée présente la forme d’un sac de patates positionné très haut avec un centre de poussée inadapté aux conditions de coup de vent voire tempête.

 
J’avais donc installé ce deuxième câble au cas ou il faille sortir la voile tempête. Evidemment ce câble étant à poste, il devient impossible de virer de bord avec la voile sur enrouleur sans l’enrouler complètement et la dérouler de l’autre côté. C’est ce que je décide de faire, sauf qu’une fois totalement enroulée, la voile ne joue plus son rôle de propulsion, le bateau perd sa vitesse et refuse de virer. Il faut donc dans ces cas là, soit, démonter le fameux câble largable et le ranger sur le côté là ou il se trouve habituellement, soit, démarrer le moteur et s’aider de la mécanique le temps du virement de bord. C’est ce que je décide de faire vu les conditions météo et le fait qu’on n’y voit rien.

Se balader sur le pont avec l’étai dans les mains qui fouette dans toutes les directions par force 7 en pleine nuit relève de l’acrobatie. Je démarre le Volvo puis passe la marche avant. Rien ne se passe ! ! Marche arrière, rien non plus ! ! Ca, c’est inquiétant ! Mon british que je devine dans la pénombre, me regarde avec ce que je crois lire, un sentiment d’intense interrogation dans les yeux. J’ouvre la trappe du moteur, non sans une certaine appréhension quant à ce que je risque d’y découvrir. Et je constate avec effarement que l’arbre d’hélice est tout simplement déconnecté du moteur, et qu’en plus, l’axe se dirige, entraîné par l’hélice et la vitesse propre du bateau sous voile, petit à petit vers la sortie.
Et ça c’est grave !

De nouveau, la tête dehors, mon british me demande avec son calme de toute circonstances à ce que je constate,
« quelle est la situation ? » en anglais c’est encore mieux « what is the update Franck ? »
Je lui réponds sur le même ton
« the shaft is disconnected » ( l’arbre d’hélice est déconnecté ).
Le dialogue est fabuleux à mon sens car il a lieu dans des conditions dures sur le plan de la météo. Le vent hurle dans les haubans, les vagues passent sur le pont, sans y être invitées, et nous arrosent copieusement. John poursuit en me demandant si l’arbre en sortant de la coque, en plus de l’importante voie d’eau que cela va générer (25 mm de diamètre) donc si l’arbre pourrait, en venant en appui dessus, empêcher le bon fonctionnement du safran. Ma réponse que je veux aussi calme que sa question est
« yes ! ».
«Well good God ! »
Silence pendant deux secondes. Je me rue sur un coffre gigantesque qui se trouve à tribord dans le cockpit. Par là on accède à la zone sensible ou se trouve l’arbre d’hélice et l’arrière du moteur, inverseur etc..
L’intérieur de la cabine s’encombre d’une quantité invraisemblable de choses, fusils harpon, ancres, ligne de mouillage, voiles, bidon de gasoil etc. Le coffre enfin vide, j’accède à l’arbre. Il n’est pas encore sorti de son logement. Il n’en reste qu’un petit bout graisseux qui tourne tout seul de façon tellement grotesque.
Caisse à outil dehors prête à l’emploi, (un autre coffre à vider !), j’explique à John que je vais essayer de reconnecter l’arbre au moteur.

Good he says !
Une fois la tête en bas dans l’étroit volume de la salle des machines si on peux dire, je prends l’arbre à pleine main, il est tellement graisseux que je ne peux pas lui imprimer le moindre mouvement. Avec une paire de pince j’arrête la rotation et tente de le ramener vers l’avant. Rien a faire, ça tire trop, ça bouge trop, ça sent un mélange de gasoil et d’huile moteur et pour la première fois depuis ma toute première sortie en mer il a 23 ans, je commence à sentir les symptômes du mal de mer.
Impossible de reconnecter, par contre l’arbre ne sortira plus, je l’ai coincé avec la paire de pince et du fil de fer ( pas de pince étau !).
Ca c’est déjà l’essentiel. Cela veut dire que la voie d’eau est évitée et surtout, le bateau restera manœuvrant grâce à son safran.
Bon maintenant il ne nous reste plus qu’à rentrer nous abriter, à la voile !
L’étai largable que je n’avais pas voulu démonter, est proprement décroché et rangé de manière à pouvoir effectuer le virement de bord. De plus il va falloir faire de nombreuses manœuvres pour atterrir à la voile.
Les anciens le faisaient toujours, mais nous, la génération des navigateurs gâtés par la mécanique, avons perdu ni même jamais acquis les réflexes liés aux atterrissages à la voile pure.
Nous approchons de notre destination contre le vent en zig zag, bord sur bord. Au fur et à mesure que les feux des musoirs du port se rapprochent, la tension s’accentue.
Le port est complexe dans sa configuration avec un ensemble de jetés terminées par des feux verts et rouges.
Encore un virement de bord et le bateau devrait se trouver dans la bonne position soit pour entrer dans un des bassins du port, soit pour jeter l’ancre devant l’entrée.
Nous virons de bord. Le Génois passe de l’autre côté du bateau à bâbord, la grand voile aussi. Je n’ai même pas eu le temps de frapper l’écoute de Génois sur son taquet que, dans un claquement sec, le point d’écoute de la grand voile casse net. Nous voilà sur le point de rentrer dans le port avec un bateau devenu soudain incontrôlable. John me passe immédiatement un cordage que nous enroulons autour de la bôme de grand voile pour pouvoir de nouveau la contrôler.

Pour un ancien, le réflexe de ce britannique à la retraite me surprend et m’enchante à la fois car grâce à lui nous entrons dans le port par nuit noire et un vent de force 7.
J’enroule le Génois pendant que le bateau avance dans l’enceinte du port sous grand voile seule arisée à deux ris.
John est à la barre, il effectue un demi tour face au vent, je mouille...l’ancre. Et en plus elle accroche. Comble du bonheur, le bateau se stabilise à 2 mètres d’un ponton flottant.
Je gonfle l’annexe et grâce à un long cordage, nous amarrons le bateau en prévision du coup de vent qui devrait atteindre toute sa puissance au matin du lendemain.
Pas mal pour un début de voyage ! Après un bon repas pendant lequel nous nous sommes félicités de l’issue de cette galère, nous nous sommes couchés complètement épuisés. Le lendemain j’ai reconnecté sans modifier le concept de fixation.

Mon père mis au courant par téléphone le soir même de notre arrivée à la voile, plancha et fabriqua dans la nuit une pièce qui devait régler mon problème. Il est extra mon père. Merci Papa. Mon frère s’est donc chargé de me l’apporter à la Escala.
John a regagné son chez soi non sans m’avoir avoué avec un sourire, s’être interrogé sur le pourquoi diable il avait souhaité m’accompagner dans ce petit bout de périple ! !









































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