Entrée dans L'atlantique


Dimanche 17 décembre.

0h20 Le vent manque de corpulence en ce moment. Je croyais pouvoir enfin compter sur du solide mais c’est pas gagné. Ma foi, j’avance toujours sous voiles, sur le même bord (prés bon plein) et dans la bonne direction. Seul souci, quand je retourne vers le Détroit, j’ai l’invincible Armada à mes trousses ! Je peux compter pas moins de dix cargos sur l’horizon ! Il va falloir ouvrir l’œil même si celui-ci est très lourd. La fatigue commence à se faire sérieusement sentir. Ah si le vent pouvait souffler plus fort que je puisse définitivement sortir de cette zone dangereuse.
Je viens de bailler pour la 1000eme fois ce soir. Mais je ne peux pas aller me reposer.
En mer aussi on trouve des contraintes. (Je la trouve très mollassonne cette remarque, voir tout à fait bidon). Il est temps que je me repose, d’ailleurs le style prend des raccourcis.

3h30 Le vent est très irrégulier. J’entends le Génois qui frotte sur les haubans. Finalement il passe à contre, pilote bloqué, il bip à qui veut l’entendre. Je rétablis l’allure et tente de dormir 15 minutes entre les cargos.
Le vent devient alors complètement débile variant constamment sur un angle de 60 degrés. Impossible de repositionner le pilote dans ces conditions.
Puis le vent finit par tomber complètement. Je démarre le moteur, cap 270 plein ouest et on en parle plus. Ca grouille toujours autant de cargos dans le coin.
La pétole vient de repasser au sud ouest. C’est une véritable calamité ce vent là ! Est ce que je vais devoir tirer des bords jusqu’aux Canaries ? ? ?
Moi qui espérais trouver des conditions favorables de l’autre coté du tube, c’est raté ! Pas de vent ou bien dans le pif et de toute façon extrêmement irrégulier avec, pour couronner le tout, une imposante procession de cargos qui s’allonge à perte de vue.
Voilà le menu de ce que je trouve en Atlantique après 12 heures de prés serré à tirer des bords pour sortir du Détroit. Au niveau du repos, c’est un zéro pointé pour le moment.
Tient, une goutte de morve très liquide vient de tomber de mon nez, parce qu’en plus, il fait froid !

 
9h15 Je viens de terminer une série de tranches de sommeil, 15 minutes chacune. Je navigue toujours au moteur en plein milieu du rail. A ma droite, une colonne de bateaux sortant du Détroit, à ma gauche, ceux qui s’y engouffrent. Et moi tout petit au milieu. Le fait notable de ce dernier tour d’horizon, c’est encore une fois ce maudit vent. Alors que je l’avais dans le nez jusqu'à présent, je le reçois maintenant du nord ouest. J’attends qu’il soit pour de vrai pour abattre vers le sud. Je me suis fixé une route et un point GPS à atteindre dans quelques miles. Ca me donnera le temps de voir si c’est du bon, du vrai, du costaud ce nord ouest.
Autre fait notable, c’est la houle. On est plus en Méditerranée. Je n’ai même pas finis d’écrire ces derniers mots que le vent est repassé ouest sud ouest, dans le pif !

11h00 J’ai coupé le moteur à 10h00 pour abattre vers le sud. Je m’y dirigeais déjà depuis 20 minutes (cap 230) quand ça a recommencé à merder comme hier soir.
Variations de directions toutes les 5 minutes et je n’exagère pas. Pour finir, je navigue maintenant dans le 200 au pré serré. Le vent est établi secteur......vous l’avez dans le mile.....SUD OUEST ! ! ! ! Je suis en train de tirer des bords en Atlantique pour rejoindre Tenerife. Je ne veux pas y croire.
Frustration est un faible mot pour exprimer ce que je ressens ce matin.

11h30
Je viens de rentrer étudier les pilots charts pour tenter de comprendre pourquoi je ne rencontre toujours pas de vents portants comme les probabilités me l’affirment pour cette région et en cette période de l’année. Le document montre une zone de turbulences qui génèrent effectivement un flux de sud ouest tout près du Detroit.
OK il me faut m’écarter beaucoup plus à l’ouest. Pour le moment, je vais faire route vers le sud afin de vraiment sortir de cet entonnoir à cargos, puis je tirerai un long bord vers le large pour enfin tomber sur un flux de nord ou nord est.
Voilà, maintenant que j’ai compris le phénomène, je me sens mieux. En fait je n’ai absolument rien compris et le futur me l’apprendra de la plus nette des manières.
D’ailleurs, j’ai faim ! Je vais me concocter une de mes spécialité qu’une longue pratique dans l’élaboration toujours plus affinée de la recette, rend absolument savoureuse : des pâtes au thon !

13h45 Je me la suis faite cette plâtra de pâtes, mais quel travail dans cette mer bouillonnante ! Tout est rangé, propre et organisé, mais moi je suis épuisé, alors je fais des conneries. J’ai par exemple, en ouvrant l’équipet des bouteilles de vinaigre et d’huile, alors qu’il se trouve du coté au vent, renversé une bouteille d’huile d’olive qui, en atterrissant sur le plan de travail en a profité pour asperger la zone copieusement, le bouchon de plastic s’étant bien entendu ouvert pour la circonstance. Ca ne me met pas de bonne humeur. En fait, sortir du Détroit de Gibraltar n’est pas une mince affaire. J’ai l’impression d’échapper avec le plus grand mal d’un trou noir à la force d’attraction infinie. Je navigue dans un espèce de suçoir où s’engouffrent des centaines de bateaux par jour. Les vents et les courants y sont violents et génèrent une mer bouillonnante et croisée dans tous les sens. C’est l’anarchie au delà de ce que j’ai pu voir jusqu'à présent. Bref, je viens de remettre le moteur en route. Ca n’avance pas très bien car dans cette mer hachée et courte... Enfin c’est connu quoi, tu tapes dans un mur tout les trois mètres. Non elle ne lâche pas facilement la Méditerranée.

19h00 Toujours au moteur. La mer est presque plate maintenant. Je suis sorti de la zone de turbulences. Par contre, toujours pas de vent et le peu que je rencontre demeure secteur sud ouest. Les pilots charts sont corrects pour l’instant. La mauvaise nouvelle, c’est qu’elle est vaste cette zone de vent merdique. Il me faudra du temps avant d’en sortir. La journée s’est déroulée entre la préparation du repas, les mini siestes de 20 minutes tout l’après-midi et mon journal de bord. Je suis plus reposé maintenant. Tant mieux car débuter le voyage pour les Canaries par le passage du Detroit de Gibraltar vent et courant contraire, c’est presque recevoir un uppercut dans la tronche d’entrée au premier round !

23h00 La mer est un miroir, une flaque d’huile animée d’une longue houle de nord ouest.

 
Lundi 18 décembre

7h30 Le vent se lève du secteur sud. Comme je me dirige vers l’ouest avec une petite composante sud, je renvoie la toile. Le bateau est au prés bon plein presque travers. Ca marche doucettement. Mais ça repose le moteur et le skipper passablement irrité par le moteur. J’ai pu me reposer cette nuit car j’ai raté, à cause du bruit que fait mon bon vieux bi-cylindre, la sonnerie du minuteur. Ma sieste s'est rallongée de 1 heure et 10 minutes. Heureusement le trafic est faible dans le coin.

8h30 Le vent prend du coffre. J’avance maintenant entre 5.6 et 5.9 nœuds. Le soleil caresse un paysage marin totalement changé.
Terminé l’espèce de cacophonie des vagues crées par les turbulences du Détroit. Toute la confusion d’hier a laissé place à une mer impressionnante par son calme et sa régularité. Une houle ample et très longue rythme l’océan. Il s’en dégage une sérénité rassurante. Je suis pour la première fois de ma vie suffisamment loin en Atlantique pour enfin la découvrir cette fameuse houle. Quelle est belle toute ronde et longue. Elle semble langoureuse, animée d’une puissance tranquille.
Elle aussi voyage et au moment ou nous nous croisons, elle vient de très loin.

9h40
Le bateau est au prés bon plein pointé vers le 250. Winnibelle effectue des pointes de vitesse à 7,2 nœuds mais en moyenne, ça tourne autour de 6,2 nœuds.
J’écoute France inter et m’apprête à faire ma gym.

11h15
Le vent s’est resserré, je ne suis pas encore au prés serré mais pas loin, sur le même cap évidemment. La grosse houle est établie au secteur nord ouest. J’aimerai à ce propos que le vent veuille bien la suivre. A bon entendeur salut !
J’ai fais ma gym ce matin avec le bateau gîté sur tribord j’avais l’air d’un maboule. Pour un observateur situé à l’extérieur, on verrait une tête déformée par des grimaces d’effort, sortir plus ou moins régulièrement de l’écoutille du carré ! Quelque peu incongru vu les circonstances. J’ai aussi remis ma ligne de traîne à l’eau. J’insiste décidément.
On verra si mon rapala aura plus de succès dans ces eaux qu’en Méditerranée. J’ai aussi passé, comme d’habitude, mon éponge sur tous les planchers. Bien sur j’avais oublié que la veille, c’était l’huile d’olive répandue sur le plan de travail que j’épongeais avec.
Alors mon bateau sentira l’huile d’olive pendant quelques jours fort de sa fine couche fraîchement appliquée par mégarde ce matin. Je me sens bien mieux aujourd’hui.
Cette nuit sans vent, sans vagues, et sans cargos, m’a permis de me reposer enfin.

17h47
Le vent est maintenant plus orienté vers le Sud Ouest car je navigue depuis deux heures au près serré toujours dans le 250 donc hors de ma route qui devrait être dans le 240 pour atteindre Tenerife. J’essaye de m’écarter vers l’ouest le plus possible pour tenter de sortir de la zone de vents portant au Nord Est et donc contraires.
Ces informations proviennent des pilots charts qui donnent la probabilité des vents dans une région donnée et pour une période donnée. Dans le cas qui me préoccupe, il existe une sorte de tourbillon de Sud ouest qui sévit dans une vaste zone centrée autour de l’entonnoir de Gibraltar. Je viens d’observer une ligne blanche dans le ciel.
C’est une ligne aérienne juste au dessus de ma tête légèrement sur bâbord du bateau. J’ai pris un relèvement par rapport au point de destination de ces avions à l’horizon : 225 degrés. Pile sur Tenerife. Si jamais mon GPS tombe en carafe, je pourrais toujours me diriger grâce aux avions si le ciel reste ouvert !

18h46 Le jour s’éteint. Je relève ma traîne et bien évidemment il n’y a aucune traction sur le filin. En fait, et ce n’est pas une surprise, il n’y a rien au bout de la ligne.
Par contre, et ça c’est nouveau, le beau rapala à 70 francs s’est tout bonnement volatilisé.
Donc demain je passe au gros matériel. Mais demain, je ne le sais pas encore, sera bien diffèrent du jour qui s’écoule. Le vent est en train de tomber.

21h45 Le vent n’est pas tombé. En fait il s’est renforcé en s’écartant un peu du bateau. J’ai enroulé un peu de Génois et me suis rapproché un peu du cap à suivre. On verra comment tout cela évoluera pendant la nuit. J’écoute une station FM marocaine qui passe de la très bonne musique.

23h42 Le vent s’est encore renforcé. J’ai réduis le Génois. Si ça forcit encore, je m’occuperai de la grand voile. Pour le moment ça va le bateau est équilibré. Un cargo passe au loin. Je fais bien de rester éveillé. Pour le moment je ne rencontre toujours pas de vents portants.
Pourtant d’après le pilot chart, je devrais commencer à entrer dans une zone de vents d’ouest !

23h52
L’horizon se bouche. Les étoiles disparaissent sur tout l’avant du bateau. Je vais prendre un ris.









































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